Qu’est-ce que le «sauvetage en mer», et qui en est responsable?
«On entend par “détresse en mer” une situation dans laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu’un navire ou des personnes à bord sont en danger grave et imminent, et ne peuvent se mettre en sécurité sans assistance extérieure. (…) Le devoir de sauvetage maritime est un devoir inconditionnel, qui est lié uniquement à la nécessité de protéger les personnes en détresse en mer.»
(Institut allemand pour les droits humains, 2017)
Le sauvetage en mer fait partie intégrante du droit international coutumier, et est explicitement prévu par le droit maritime international. Tout*e capitaine d’un navire d’État, commercial1 ou privé a l’obligation de porter assistance aux personnes en détresse dans les plus brefs délais.
1 Dans un premier temps, face à l’augmentation du nombre de personnes traversant la Méditerranée en quête de protection, les cargos ont joué un rôle important dans le sauvetage en mer. Contrairement aux bateaux civils de sauvetage, ces navires commerciaux ne sont toutefois pas appropriés pour le sauvetage, la prise en charge médicale et le transport d’un grand nombre de personnes (absence d’équipement médical, coque trop haute, manque de place pour l’hébergement sur le navire).
Pourquoi y a-t-il des navires privés à but non lucratif, gérés par des organisations non gouvernementales, en Méditerranée?
Les missions conduites par les États ou la communauté internationales en Méditerranée se sont arrêtées ces dernières années (Mare Nostrum en 2014, Triton en 2018), ou alors elles sont aujourd’hui principalement axées sur la sécurisation des frontières et la lutte contre les bandes de passeurs (Sophia), et non sur le sauvetage en mer, comme le confirme le site Internet de l’Armée allemande2.
Par le passé, toutes sortes de navires menaient des opérations de sauvetage en Méditerranée: cargos, bateaux de pêche, navires de garde-côtes ou de la mission de l’Union européenne EUNAVFOR MED, ou encore bateaux appartenant à des organisations non gouvernementales (ONG).
L’arrêt des missions gouvernementales et internationales signifie que les navires commerciaux et ceux des ONG sont à nouveau les seuls à sauver des vies en Méditerranée.
Pourquoi les personnes secourues ne sont-elles pas renvoyées en Libye, leur lieu de départ?
La Libye est le principal pays de transit pour les personnes en provenance de pays africains qui cherchent refuge en Europe via la Méditerranée. Or l’État de droit n’est pas garanti en Libye, qui n’a plus de gouvernement opérationnel depuis des années. Une grande partie du territoire libyen est contrôlée par des milices.
Pour les personnes en fuite d’un pays africain, les dangers sont encore bien plus graves lorsqu’elles traversent la Libye. La torture, le viol, les mauvais traitements et l’esclavage sont une réalité quotidienne, tant en cours de route que dans les centres de détention libyens. Ce constat est confirmé par de nombreux reportages des médias et avis d’experts du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
À chaque fois que le poste d’alerte libyen appelle ou oblige les missions civiles de sauvetage à remettre aux garde-côtes libyens des personnes sauvées en mer, contre la volonté de celles-ci, il s’agit d’un «push-back»: un retour forcé immédiat et sommaire, en violation du principe de non-refoulement. Il en va de même pour les bateaux de réfugié*es interceptés et remorqués vers la côte libyenne.
Cette pratique est clairement illégale, notamment en vertu de l’article 33 de la Convention de Genève3.
L’Italie a été condamnée pour violation de ce principe, mais le jugement est également applicable à d’autres États européens ainsi qu’à l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) concernant leur traitement des personnes en exil.
3 https://www.unhcr.org/dach/wp-content/uploads/sites/27/2017/03/Genfer_Fluechtlingskonvention_und_New_Yorker_Protokoll.pdf
Pourquoi ne pas laisser les garde-côtes libyens sauver les personnes en mer, puisqu’ils reçoivent des fonds et des équipements de l’Union européenne à cette fin?
Les océans du monde sont subdivisés en zones dites de recherche et sauvetage (SAR). Les opérations de sauvetage sont généralement déclenchées suite à un appel de détresse, qui est transmis au navire le plus proche par un poste d’alerte SAR. Ce système inclut également les navires civils de sauvetage. Jusqu’à récemment, c’était le poste d’alerte SAR de Rome qui décidait quel navire devait secourir les personnes dans quelle partie de la Méditerranée, les navires des ONG faisant partie du dispositif.
Mais l’Union européenne, et l’Italie en particulier, ne veulent plus s’impliquer directement dans le sauvetage en Méditerranée, préférant depuis 2016 moderniser le service de garde-côtes libyen. Depuis juin 2018, la Libye a sa propre zone de recherche et de sauvetage le long de la côte libyenne. Le pays prétend remplir toutes les conditions nécessaires. L’Italie a fourni aux garde-côtes libyens douze navires supplémentaires, et l’UE soutient la Libye sur le plan de l’expertise et du financement4.
Mais le nouveau poste d’alerte libyen n’est actuellement pas en mesure de coordonner correctement les missions de sauvetage. C’est ce que constatent les organisations de sauvetage en mer, mais aussi un avis du service scientifique du Bundestag allemand (WD 2 -3000/053/17). Le renforcement des garde-frontières et de la police des frontières en Libye pourrait même injecter de grosses sommes dans les milices libyennes, qui contrôlent les routes commerciales, les postes frontières, les nœuds de communication et les centres de détention5.
4 https://netzpolitik.org/2018/eu-finanziert-rauswurf-von-seenotrettern-im-mittelmeer/
5 Micaleff, Mark (2017): The Human Conveyor Belt: trends in human trafficking and smuggling in post-revolution Libya. Global Initiative against Transnational Organized Crime. Geneva, Switzerland
Le sauvetage en mer ne crée-t-il pas des incitations supplémentaires à la migration de masse à travers la Méditerranée (facteur d’attraction)?
Pour les personnes en quête de protection, l’étape de la traversée de la Méditerranée est généralement le dernier danger d’un long voyage. Elles doivent en particulier se procurer l’argent nécessaire pour payer le passage. Les personnes sont souvent en route depuis des mois ou des années sur des itinéraires peu sûrs: d’abord dans leur pays d’origine (en tant que «personnes déplacées»), ensuite à travers les zones désertiques des pays de transit, puis dans des zones d’attente proches des côtes, ou dans des «camps» en Libye ou au Maroc. Ayant quitté leur pays d’origine depuis longtemps, elles ne peuvent pas simplement y retourner. La traversée n’est donc pas le résultat de prétendues «incitations», mais au contraire la dernière issue.
D’où vient la fausse idée que les activistes du sauvetage civil travailleraient (peut-être secrètement ou indirectement) avec les bandes de passeurs, qui leur remettraient des bateaux (inaptes à la navigation) tout près de la côte?
Les allégations de coopération directe entre les passeurs et les ONG qui sont relayées par les médias font généralement référence à une publication de Frontex (Analyse des risques 2017)6. L’étude porte un jugement critique sur toute activité de sauvetage en mer: elle problématise le système dans son ensemble, donc le rôle que joue le sauvetage en général dans les stratégies perfides et criminelles des passeurs. Mais le texte ne mentionne aucun élément permettant de penser qu’il existe une coopération illégale des ONG avec les passeurs. Il en va de même pour les accusations et soupçons soulevés par le ministère public italien à l’encontre de l’équipage du IUVENTA, qui ne s’appuient sur aucune preuve.
Les passeurs ne se soucient pas de garantir une traversée sûre. Leur principal objectif est de tirer le maximum de profit de la détresse des personnes en exil. Ils n’ont donc aucun intérêt à «communiquer» avec les missions civiles de sauvetage, d’autant plus qu’ils courent le risque d’être découverts et poursuivis. En revanche il est vrai que les situations de détresse en mer peuvent se produire non loin de la côte libyenne, puisque les passeurs trompent les personnes et les font souvent monter sur des embarcations délabrées et inaptes à la navigation. Il est fréquent que des bateaux surchargés soient abandonnés avec trop peu de carburant et d’eau potable. La traversée devient ainsi très dangereuse, et les passeurs sont conscients que de nombreuses personnes à bord risquent de périr.
6 https://frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_Analysis_2017.pdf, S. 32.
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