Le 21 mai, le procès préliminaire de l’équipage de l’Iuventa s’ouvre en Sicile. Alors que les sauveteurs en mer* et les activistes européens reçoivent beaucoup d’attention et de soutien de la part des médias lorsqu’ils sont criminalisés, la pratique quotidienne de l’emprisonnement de migrants (exclusivement des hommes) confrontés aux mêmes accusations passe presque inaperçue. Des milliers de migrants sont arrêtés et emprisonnés en Italie et en Grèce pour un prétendu “trafic de migrants” et une “aide à l’immigration clandestine”.
En Grèce, l’aide à l’immigration clandestine est plus sévèrement punie que le meurtre. Il y a le cas de Hasan et N. Hasan est accusé de trafic d’êtres humains et risque jusqu’à 230 ans de prison. Il aurait piloté un bateau qui a fait naufrage en novembre 2020 au large de Samos. N. et son fils, qui n’a pas survécu au naufrage, se trouvaient à bord. N. est accusé d’avoir mis son fils de six ans en danger en prenant la fuite. Pourtant, le naufrage n’est ni la faute de Hasan ni celle de N.. Il est le résultat direct de la fermeture croissante des frontières de l’UE, qui oblige les gens à risquer leur vie et celle de leur famille. Leur procès aura lieu le 18 mai 2022.
Il y a le cas d’Amir et Razuli. Ils ont tenté d’atteindre la Grèce sur un canot pneumatique en mars 2020. Les “garde-côtes” grecs ont attaqué le bateau et ont tenté de le repousser par la force dans les eaux turques. Après avoir échoué, Amir et Razuli ont été arrêtés et accusés arbitrairement de “contrebande” et de “mise en danger de la vie d’autrui”, ainsi que d’être entrés eux-mêmes “illégalement” sur le territoire. En septembre 2020, ils ont été condamnés à 50 ans de prison. Leur procès en appel a été reporté au 8 décembre 2022 en raison de “l’encombrement du tribunal”.
Ou encore le cas des #Paros3. Le 5 mai, un tribunal grec a condamné Kheiraldin, Abdallah et Mohamad à un total de 439 mois de prison pour avoir piloté une embarcation lors de leur propre fuite. Le bateau a chaviré en décembre 2021 au large de l’île grecque de Paros, tuant 18 personnes.
Ces migrants font ce que l’UE leur demande de faire : Ils viennent sur le sol européen, en l’occurrence sur les îles grecques, pour déposer une demande d’asile. C’est la procédure normale pour pouvoir demander l’asile en Europe. Mais dès qu’ils arrivent, ils sont criminalisés précisément pour cela. Il est pourtant typique que les personnes qui organisent la traversée et gagnent de l’argent ne se mettent pas en danger et que les migrants soient ainsi contraints de piloter le bateau.
En criminalisant le conducteur du bateau ou n’importe quelle personne se trouvant sur le bateau, les autorités grecques peuvent faire croire au succès de leur travail contre les passeurs. En effet, le public ne s’intéresse généralement pas à ces personnes. Ces dernières années, 2’000 à 3’000 personnes ont été concernées par cette criminalisation en Grèce. Nous n’avons même pas connaissance de nombreux cas.
Un avocat grec décrit ainsi le déroulement typique d’une procédure contre des migrants* : Lors de la mise en détention, un avocat examine brièvement le cas. Après huit à douze mois, le procès a lieu. Dix minutes avant le début du procès, les accusés voient l’avocat pour la première fois. Les débats durent quelques minutes. Pas de témoins*, pas de preuves, jugement rapide. Il n’est pas question d’un procès équitable qui respecte les lois en vigueur. La peine habituelle : 5 à 15 ans de prison pour chaque personne présente sur le bateau. Pour 30 personnes, on obtient des peines absurdes de plus de 200 ans. Même si sur cette période de détention, 12 à 20 ans doivent effectivement être purgés, la pression psychologique d’un tel jugement est énorme. D’autant plus pour un crime qui n’en est pas un et pour lequel on n’est pas coupable. Pour un crime sans victime. Car qui est la victime lorsque des personnes sont transportées à leur demande de la Libye vers l’Italie ou de la Turquie vers la Grèce ?
La situation est similaire en Italie. Les migrants arrêtés en Italie sont accusés d’aide à l’immigration clandestine, un crime passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans et de lourdes amendes. Les droits humains fondamentaux sont également violés en Italie. Souvent, les migrants sont détenus pendant des mois sans même en connaître la raison. Ils manquent d’informations et de traductions. Les migrants sont accusés sur la base de preuves extrêmement faibles et de témoignages peu fiables, les audiences sont rarement publiques et il n’y a pas d’accès adéquat à une défense juridique. Les procès sont politiques et les tribunaux stricts. En Italie aussi, ces procès se déroulent en partant du principe que personne ne s’intéressera aux personnes et aux violations des droits qu’elles subissent. Dans de nombreux centres de détention, il n’est pas possible de déposer une demande d’asile. C’est pourquoi la détention provisoire se transforme rapidement en détention en vue de l’expulsion.
Début avril, la cour d’appel de Palerme a acquitté quatorze migrants qui avaient été détenus en Italie entre 2016 et 2018. Ils avaient été arrêtés en mai 2016, juste après leur arrivée en Sicile, et accusés d’avoir piloté des embarcations transportant des migrants*, se rendant ainsi coupables d’aide à l’entrée illégale sur le territoire. Dans un rapport récent, l’ONG Arci Porco Rosso documente que depuis 2013, plus de 2 500 personnes ont été arrêtées en Italie sous l’accusation d’avoir piloté un bateau.
Des groupes comme Arci Porco Rosso et Borderline Europe souhaitent rendre publique cette criminalisation systématique de la migration. Ils donnent des noms aux personnes concernées, attirent l’attention sur leurs cas et fournissent un soutien juridique. Pour ce faire, nous pouvons par exemple les soutenir par des dons pour l’assistance juridique ou par des actions publiques et un travail médiatique sur les différents cas : Liberté pour les #Samos2, liberté pour les quatre footballeurs, liberté pour les Moria6, liberté pour Amir & Razuli, liberté pour Hamza & Mohamed.
Ces processus politiques fonctionnent parce que le discours public suit le récit : La mort en Méditerranée serait la conséquence du “trafic d’êtres humains”. Si l’on mettait enfin un terme à ce trafic, le problème serait résolu. Mais celui qui utilise ce récit et accuse des personnes qui ont piloté un bateau qui devait conduire des personnes en sécurité ne peut plus se présenter comme défenseur* des droits de l’homme et encore moins comme défenseur* des droits des migrants. Désigner les véritables responsables de la mort en Méditerranée, les décideurs* européens et les acteurs comme Frontex, est la base d’une large résistance publique à cette criminalisation.
Les gens se rendent aux frontières pour de nombreuses raisons. Ils y demandent à des gens de leur faire traverser les frontières. Parce que cela ne fonctionne pas autrement. Dans les cas dont il est question ici, ils ne sont pas traînés contre leur gré de leur lieu d’origine à travers les frontières par des passeurs. Ils ne se mettent pas en route vers l’Europe à cause des passeurs. Chaque personne a une raison individuelle de fuir ou de migrer. La migration est une réalité à laquelle nous ne pouvons faire face qu’en sécurisant les routes migratoires.